Il faudrait regrouper les interviews de cette semaine
A 86 ans, Albert Uderzo annonce un nouvel Asterix pour la fin de l'année
À 86 ans, Uderzo a toujours une lueur qui brille dans le regard lorsqu'il évoque Goscinny et Astérix.
Photo DR/Philippe Cauvin
Certains profiteraient de leur
retraite dorée sous des palmiers ou en ... Belgique. Albert Uderzo, lui, n'a
pas quitté Paris et reste, plus que jamais, très actif. À 86 ans, alors
que le festival de la BD d'Angoulême lui consacre une rétrospective,
ce grand génie de la bande dessinée (l'un des derniers ?),
indissociable de son compère de toujours René Goscinny, a retrouvé la
forme.
En effet, il semble loin le temps où le ciel lui tombait
sur la tête après le déferlement de critiques assassines, en 2005, sur
son dernier Astérix. Aujourd'hui, une petite lueur brille encore dans
ses yeux à l'évocation du plus célèbre des Gaulois de la bande
dessinée. Uderzo a, certes, passé la main mais il n'a pas décroché et
annonce, à
La Provence, qu'un nouvel Astérix verra le jour avant la fin de l'année. Par Toutatis, voilà une excellente nouvelle, vous ne trouvez pas ?
Vous
allez fêter vos 86 ans en avril prochain. Vos fans éditent un important
ouvrage sur vos travaux publiés entre 1941 et 1951. Le festival de la
BD d'Angoulême vous consacre une rétrospective dédiée à ces mêmes
travaux. 2013 serait-elle placée sous le signe d'Uderzo ?Albert Uderzo :
J'ai effectivement un calendrier assez chargé cette année. J'irai au
festival d'Angoulême inaugurer l'exposition qui m'est consacrée, en
présence de la ministre de la Culture Mme Filippetti. C'est une
exposition que je découvrirai, moi aussi, sur place.
Quant à
l'intégrale qui m'est dédiée, ce sont deux de mes fans - je les appelle
mes fans-fous parce qu'il faut être fou pour faire ce qu'ils ont fait ! -
qui se sont plongés dans mes débuts en exhumant des documents que
j'avais moi-même oubliés, lors de cette période au cours de laquelle
j'ai beaucoup travaillé.
Effectivement, on y apprend que vous avez fait un peut de tout !A.U. :
En terme de travail, c'était vraiment tout et n'importe quoi. Dès
l'après-guerre, à partir de 1945 , j'ai commencé à travailler pour des
publications qui avaient le mérite de me permettre de faire mon métier.
En 1946, j'ai travaillé pour
OK (à ne pas confondre avec le magazine pour ados
OK Magazine,
lancé bien plus tard - ndlr). J'ai commencé à y répandre mes idées un
peu farfelues . Des fois, j'ai un peu honte (rires) ; mais j'avais 18
ans, je sortais de l'enfance. J'ai aussi travaillé pour la publicité,
j'ai illustré des nouvelles dans
Sud Ouest, j'ai exercé le métier de dessinateur-reporter de presse dans
France Dimanche.
On
m'envoyait là où ne pouvaient pas aller les photographes. J'illustrais
les articles, les faits de société dont certains m'ont marqué. Par
exemple, je me souviens d'un fait divers qui concernait un gangster, un
certain Delapina, que l'on surnommait le gangster élégant. Il
cambriolait les belles demeures de Neuilly et lorsqu'il tombait nez à
nez avec des enfants dans l'appartement, il les rassurait et les
endormait tendrement avant de tout rafler.
Pour le journal, je
récupérais les photos des lieux visités et je les dessinais, en montrant
avec des flèches, les sites par lesquels accédait le gangster. Ça m'a
valu des reproches du ministre de la Communication, de l'époque, puis
une amende. Mais c'est le journal qui a payé. J'avais peur que cette
sanction reste indélébile sur mon
CV. Ça n'a, fort heureusement, pas été le cas.
C'est une époque qui vous rend nostalgique ?A.U. :
Oui et non. Non, parce que j'ai vécu d'autres choses par la suite. Oui,
parce que c'est l'époque de la jeunesse. J'avais 14 ans lorsque j'ai
commencé en 1941. Tous mes confrères qui n'ont pas eu la chance de vivre
jusqu'à 86 ans comme moi, auraient sans aucun doute aimé être là
aujourd'hui. Je pense à Franquin, Peyo ou encore à Goscinny.
Goscinny a, justement, été votre plus grand complice. Il vous manque ?A.U. : Goscinny me manque ô combien ! Nous étions très proches. Nous étions comme deux frères.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?A.U. : C'était en 1951. Un agent belge qui avait vu mon travail m'a contacté
pour me demander si je ne voulais pas faire de la BD. J'ai dit oui !
Mais comme j'avais honte de dire que j'allais travailler en Belgique,
j'ai annoncé à
France Dimanche que je partais travailler aux
États-Unis. À cette époque, tous les dessinateurs rêvaient des
États-Unis. Franquin, Peyo, Roba, Morris ont fait des dessins animés,
comme moi, avant de constater que ce mode d'animation n'était pas fait
pour nous. René était, lui, déjà aux États-Unis. Il rêvait de travailler
pour Disney. Moi, je travaillais à Paris pour une petite agence au nom
ronflant, la World Press.
Mon patron était allé prospecter à New
York. Il a rencontré René et lui a proposé de venir travailler en
France. Comme il en rêvait, il a immédiatement accepté. Au départ, René
était chargé de passer, pour le compte de l'agence, chez les
dessinateurs, afin de récupérer les dessins à publier. Il est venu chez
moi et l'on a très rapidement sympathisé. Il était plus à l'aise dans
les scénarios que les dessins. Moi, c'était l'inverse. Du coup, on a
marié nos aptitudes. On a créé notre premier personnage qui s'appelait
Oumpah Pah. Puis, on a créé le Journal
Pilote et, enfin, Astérix.
Comment expliquez-vous le succès, justement, d'"Astérix le Gaulois" ?
A.U. :
Franchement, je ne sais pas. Astérix est un phénomène qui étonne
toujours le survivant que je suis. Avec René, nous sommes arrivés à une
période où la bande dessinée humoristique était très pauvre. C'était du
premier degré, genre "tarte à la crème". Avec Goscinny, on a eu la
prétention de dire
"on va changer tout ça", tout en s'adressant aux enfants. En 1959, nous avons créé le magazine
Pilote et on a pu faire ce que l'on voulait. D'ailleurs, si nous n'avions pas
eu notre propre publication, Astérix n'aurait sans doute jamais vu le
jour. Les rédacteurs en chef des différents journaux à l'époque étaient
très réfractaires. Lorsque l'on a lancé Astérix, jamais on n'aurait
imaginé qu'il aurait un tel succès.
Vous formiez, avec
René Goscinny, un couple quasi fusionnel. Il est étonnant de voir
qu'Astérix a résisté au décès de votre grand ami.
A.U. :
Après le décès de Goscinny, lorsque j'ai annoncé, deux ans plus tard,
que je reprenais Astérix, mon orgueil en a pris un coup parce que tout
le monde avait enterré à la fois Goscinny et Astérix ! J'étais
complètement oublié. Paradoxalement, ça m'a donné beaucoup de force.
J'ai décidé d'écrire mes scénarios. C'était une folie complète et on ne
m'a d'ailleurs fait aucun cadeau. Lorsqu'en 1980, j'ai sorti
Le grand fossé,
j'ai même entendu des réactions de critiques qui disaient qu'il
s'agissait sans doute d'un scénario que Goscinny avait écrit avant sa
mort. Quelque part, ces réactions ont été le plus beau cadeau que l'on
m'ait fait ! Elles signifiaient que j'avais gagné mon pari.
En
2005, vous avez également été éreinté par la critique lors de la sortie
du dernier album d'Astérix, "Le ciel lui tombe sur la tête".
A.U. :
Oui. Mais aujourd'hui, c'est oublié. Je vous annonce d'ailleurs que
j'ai trouvé une excellente relève et que le prochain Astérix sortira, en
principe, à la fin de l'année en librairie.
C'est une excellente nouvelle. Vous pouvez nous en dire un peu plus ?
A.U. :
Le projet a été retardé d'un an parce qu'un dessinateur a
malheureusement jeté l'éponge en cours de route. Mais j'ai deux auteurs
talentueux qui planchent sur le prochain ouvrage depuis un moment :
Ferri au scénario et Dider Convard, au dessin. Je suis très content
d'avoir une telle relève. Tous les deux ont un talent fou.
Pouvez-vous nous dévoiler la trame du prochain scénario ?
A.U. :
Non. Aujourd'hui, le scénario appartient à leurs auteurs et c'est à eux
d'en dévoiler le contenu lorsqu'ils jugeront le moment venu. Mais pour
vous rassurer, je peux vous dire qu'on retrouvera toujours Astérix,
Obélix et Idéfix et qu'il y aura certainement de nouveaux personnages.
Source:
http://www.laprovence.com/article/bd-livres/albert-uderzo-goscinny-me-manque